Leurs enfants après eux

Nicolas Mathieu

Babel / Actes sud

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Le pitch

Août 1992. Une vallée perdue quelque part dans l’Est, des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a quatorze ans, et avec son cousin, pour tuer l’ennui, il décide de voler un canoë et d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus.

Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui commence.

Mon avis

J'ai, sur ce site, une forte tendance à me plaindre du niveau actuel de la littérature française contemporaine, lorsque je la compare à son homologie américaine, si riche, si vivante, si préoccupée par les évolutions de l'Amérique moderne.

C'est donc avec une joie profonde que je suis en mesure de saluer le second roman de Nicolas Mathieu qui se hisse, sans problème à ce niveau d'excellence.

Leurs enfants après eux, c'est un très épais roman (près de 600 pages), couronné par le prix Goncourt en 2018.

Avec une ambition qu'il faut saluer, Nicolas Mathieu entreprend de raconter, en quatre époques situées dans les années 90, le destin d'une multitude de personnages évoluant dans le grand Nord français, cette région sinistrée par la désindustrialisation.

Je dis bien une multitude car, si les personnages principaux sont tous des adolescents en train de basculer dans l'âge adulte, c'est aussi l'histoire de leurs parents, de leurs cousins, que raconte l'auteur.

Pour tous, une destinée qui semble les condamner à la paupérisation, la délinquance, l'alcoolisme, le chômage.

Aucune perspective d'ascenseur social - suivant l'expression des politiques, aujourd'hui -, ils sont tous condamnés à végéter, rester piégés dans le filet serré de leur classe sociale.

Pauvre et mal éduquée était ta famille, pauvre et mal éduqué tu resteras. No future, comme disaient les punks dans les 70's.

Cette peinture d'un monde abandonné, c'est l'exact contraire de tous ces romans d'autofiction que pondent à la chaine les auteurs germanopratins depuis des décennies.

Récit de leurs traumas familiaux, dessin de leur nombril.

Ici, on parle des "autres", ceux qui restent sur le bord de la route.

Mais attention : si le fond du roman de Nicolas Mathieu est profondément dramatique, il sonne parfaitement juste.

L'auteur parle d'un monde qu'il connait et on y croit, grâce à une multitude de scènes où les ados de son histoire rencontrent, l'un après l'autre, tous les obstacles et challenges de la vie.

Première biture, premier vol, premiers émois et première relation sexuelle à l'arrière d'une voiture, première bagarre.

En miroir des romans américains décrivant la dérive de l'Amérique des laissez pour compte, ceux de Chris Offutt, de David Joy, de Michael Farris Smith, Leurs enfants après eux expliquent pourquoi une large part de la population française, dans nos provinces, se sent laissée pour compte.

Pas celle des banlieues, sur laquelle est toujours braquée la lunette de l'actualité : celle des campagnes et des petites villes, situées loin de tout.

Nicolas Mathieu a un style, assez clinique, qui ne cherche pas l'empathie, mais qui a le mérite de décrire, de raconter, beaucoup.

Il manque sans doute à ce livre, un peu trop long, la petite part de lumière qui en aurait fait un chef-d'oeuvre.

Car avec Nicolas Matthieu, jamais de ciel bleu, ou même gris, à l'horizon : les hommes sont sans espoir de rachat.

Une vision du monde que je conteste avec véhémence, car elle n'existe pas : il y a toujours, quelque part, chez certains, une part de bonté et d'espoir.

Ceci mis à part, n'hésitez pas : ce récit est un grand roman, à lire absolument !

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