Ma vie à belles dents

Marcel Carné

Editions de l'Archipel

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Le pitch

Marcel Carné se souvient : l'école buissonnière pour fréquenter les salles obscures, ses débuts au côté de Jacques Feyder, sa rencontre avec Jacques Prévert, ses combats, ses doutes et, bien sûr, ses succès : Drôle de drame, Le Quai des brumes, Hôtel du Nord, mais aussi Le jour se lève, Les Visiteurs du soir, Les Enfants du paradis, Thérèse Raquin, Les Tricheurs... Autant de films, autant de dates dans l'histoire du septième art.

En près de soixante ans de carrière, Marcel Carné a tourné vingt-trois longs métrages. A leur générique, les plus grands comédiens : Arletty, Michèle Morgan, Louis Jouvet, Jean Gabin, Pierre Brasseur, Michel Simon, Simone Signoret, Jean-Louis Barrault, Yves Montand... Depuis son premier long métrage en 1936, Marcel Carné n'a rien entrepris que sous le signe de l'ambition. Preuve de cette exigence : ses quelque quarante projets non aboutis...

De quoi faire rêver tous les cinéphiles et frémir quelques producteurs. Car rarement cinéaste aussi fêté aura dû batailler autant pour tourner les sujets de son choix et préserver son indépendance. Le regard que Marcel Carné porte sur son propre destin, sur le cinéma français et sur tous ceux qui l'ont fait - acteurs, producteurs, metteurs en scène - est sans faiblesse ni concession.

Mon avis

Je ne sais pas quelle serait votre réponse à la question : "Quels sont les trois plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma français".

En fait, je préfère ne pas savoir, au cas où vous répondriez Philippe Clair !... (je plaisante)

Quoiqu'il en soit, de mon côté, je répondrais sans la moindre hésitation François Truffaut et Marcel Carné, en gardant un joker pour le troisième nom.

C'est dire si je me suis plongé avec curiosité dans la très copieuse autobiographie de Marcel Carné, parue dans les années 70.

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Drôle de drame

Affiche de Drôle de drame (1937)

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Près de 500 pages ultra serrées, bourrées d'anecdotes, avec plusieurs cahiers - un peu chiches - de photos.

Nom d'un chien, Carné c'est quand même l'homme qui a pondu 6 chefs-d'oeuvre en 8 ans, au mitan du vingtième siècle !

Drôle de Drame, Quai des brumes, Hôtel du Nord, Les visiteurs du soir, Le jour se lève et, bien entendu, le plus grand film français ever made, Les enfants du paradis.

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Les enfants du paradis

Pierre Brasseur et Arletty dans Les enfants du paradis (1946)

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Pas mal, non, pour un réalisateur qu'une certaine critique, après la seconde guerre mondiale, n'hésitèrent pas à qualifier de "metteur en images" de Jacques Prévert !

Et pourtant, je me suis souvent demander pourquoi, après cette période extraordinaire, l'homme n'a plus jamais retrouvé la vista absolue qui l'a habité à un moment.

Bien entendu, une réponse facile - celle donnée par tous ses détracteurs - est souvent donnée : sans Prévert, Carné n'était rien, et une fois les deux hommes "fâchés", le réalisateur ne parvint jamais à retrouver la qualité des scénarios du grand poète.

Mais cette réponse facile, a-t-elle encore un sens après la lecture de l'autobiographie ?

Eh bien... même si j'ai clairement la réponse, je ne la vous fournirais pas.

A vous d'aller faire votre propre jugement !

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Ma vie à pleines dents

Gabin et Morgan dans Quai des brumes (1938)

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L'essai passionnera tout ceux qui, de près ou de loin, s'intéresse à "comment on fait un film" (de la recherche d'un producteur à la distribution du film, en passant par la recherche des acteurs).

Reste que, sur le fond et la forme, l'exercice laisse au lecteur, une fois le volume refermé, un petit goût amer.

Sur la forme, parce que Marcel Carné a visiblement écrit le récit de sa vie tout seul (et c'est tout à son honneur).

Le résultat ressemble plus à un carnet de bord de son travail, anecdotes après anecdotes, empilées les unes sur les autres de manière purement chronologiques, qu'à une réflexion sur son travail.

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Jacques Prévert et Marcel Carné sur le tournage de Les portes de la nuit (1946)

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On est ainsi très étonné de le voir consacrer le même espace, exactement, à chacun de ses films, du travail de commande jusqu'aux Enfants du Paradis !

Il manque ce recul, cette perspective sur sa vie professionnelle que l'on retrouve dans les écrits de ses confrères de la nouvelle vague ou dans les autobiographies des grands réalisateurs et producteurs américains.

On est également frustré par la véritable censure que Marcel Carné s'impose, évitant systématiquement d'évoquer sa vie privée.

Carné était homosexuel, non "déclaré" (peu l'étaient alors) et c'est tout juste s'il évoque, par des chemins détournés, la longue "amitié" qui l'unira, des décennies durant, à son compagnon  comédien Roland Lesaffre.

Et pour le reste de sa vie personnelle ? Rien ! Pas un mot !

Où vivait-il, comment, quels amis, quels voyages, quelles lectures, quelles influences ? Rien de rien !

Sur le fond, l'amertume vient de celle de Carné.

L'homme a terminé sa vie aigri à plus d'un titre, il ne peut s'empêcher de régler des comptes, de plus en plus nombreux au fur et à mesure que son récit avance, envahissant certaines pages de manière excessive.

C'est inélégant et inutile.

L'homme (ou plus probablement son éditeur) a du se rendre compte du problème, puisqu'il consacre l'entier dernier chapitre de son essai à se justifier de ce choix critique.

Cela ne fait que mettre encore plus en relief la bizarrerie de son comportement.

Résultat : un livre prenant (j'ai tourné la page sans hésitation soir après soir), mais dont on ressort vraiment déçu par l'homme. Dommage.

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