Vers l’abîme

Erich Kästner

Anne Carrière / 10/18

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Le pitch

À Berlin, Jakob Fabian se livre à une critique féroce de la société allemande sous la République de Weimar, lieu de toutes les débauches et de tous les compromis. Désespéré par la veulerie de ses contemporains, il pressent l'approche du désastre, mais reste incapable d'agir et de s'engager.

Un roman décapant, qui parvient à conjuguer l'ironie, la compassion et la poésie singulière d'une modernité déboussolée.

" Sans doute l'une des dix fins de roman les plus déroutantes de la littérature mondiale. En un mot comme en cent, Vers l'abîme est un chef-d'œuvre. " Jérôme Dupuis, L'Express

Mon avis

Vedette de la littérature allemande de l'entre-deux guerres, admiré pour sa poésie et pour ses romans pour enfants, Erich Kästner est également connu outre-Rhin pour ce roman, Vers l’abîme, sous son titre original Fabian, l'histoire d'un moraliste.

Ce n'est que très récemment qu'une version complète, non expurgée, a pu voir le jour et c'est aux éditions Anne Carrière (et 10/18) que nous pouvons y avoir accès, et c'est un bonheur.

Roman inconnu en France, durement réprimé en Allemagne durant la montée du nazisme (il fut brûlé au cours d'autodafés fascistes), Vers l’abîme avait tout pour  disparaître dans les remous de l'histoire, et pourtant...

En savourant les 230 pages de cette pépite (le reste de l'ouvrage consiste en un appareil critique fort intéressant permettant de mieux mettre en perspective la trajectoire du roman et de ses différentes éditions), le lecteur comprend très vite pour quelles raisons les nazis n'ont pas aimé ce récit, mais aussi pour quelles raisons nous avons tout intérêt à nous y intéresser, 3/4 de siècle plus tard.

D'une modernité confondante, tant par son style que par les thèmes développés, Vers l’abîme est vertigineux (normal, si l'on se penche un peu, ha ! ha !).

Qu'un auteur ait pu décrire en 1932, avec autant de précision et de prescience, l'état de la civilisation allemande - en totale déliquescence - et de l'effondrement moral et social qui allait suivre au cours des années à venir, est tout simplement admirable.

Attention : n'imaginez pas une seconde vous trouver devant une thèse lourdingue et moralisatrice !

Non : le roman est écrit comme un pamphlet... mais sans en avoir la forme et la lourdeur.

A suivre les mésaventures des deux personnages principaux, errants d'un cabaret à un bordel, d'une fête à une réception, racontées à coup de phrases incisives et de dialogues courts, percutants, d'une ironie amère et mordante, le lecteur  découvre, stupéfait, un monde disparu ou, plus précisément - comme l'aurait écrit Stefan Zweig...- le monde d'hier.

Ecriture moderne, analyse au laser d'une atmosphère délétère, toxique, le roman d'Erich Kästner reste sur les rives de la fable.

Extrêmement facile et agréable à lire, l’histoire se termine d'une manière absolument désarçonnante.

Je ne me permettrai pas de vous en dévoiler le moindre élément : c'est à vous d'y aller, et je vous y incite vraiment.

Vers l’abîme est un grand roman.

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