Crépuscule

Philippe Claudel

Stock

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Le pitch

Aux marches de l’Empire « à cent têtes et cent corps », sommeille une province minérale et nue où le froid, le givre, les bourrasques semblent ankyloser les habitants d’une bourgade qui ne signalait jusque-là ni notoriété historique, ni intérêt géographique, si ce n’est d’être placée à la frontière « d’un pays dont la bannière se frappait d’un croissant d’or », et dont la vitalité contraste avec l’épuisement ranci du village aux passions tristes.

Un jour, le curé est découvert mort. La tête fracassée par une pierre. De quelle nature est le crime ? Qui pouvait en vouloir à ce curé d’une terre où les chrétiens et les musulmans vivaient depuis toujours en bonne entente ? Que faire, qui accuser, et qui entraver dans son action si, à partir de ce meurtre, s’ordonne toute une géométrie implacable d’actes criminels et de cruautés entre voisins ? Il y a un heureux : le Policier, Nourio, car « c’était fabuleux pour lui d’avoir une pareille affaire, dans ce lieu abandonné de toute fantaisie, de tout grain de sable, roulé dans l’ordinaire des jours ». Le voilà lancé dans d’inutiles recherches. À quoi sert de s’opposer au cours impétueux des choses ?

Mon avis

Je ne vais pas revenir ici longtemps sur l'estime que je porte à ce grand monsieur des lettres françaises contemporaines qu'est Philippe Claudel.

Je rappellerais juste que l'histoire retiendra sans le moindre doute les deux "pics" de sa geste romancière, les deux formidables œuvres que sont Le rapport de Brodeck et Les Âmes grises.

Deux romans terriblement "gris", effectivement, tant ils dissèquent l'âme humaine avec une terrible désespérance, dans un passé récent abimé par les deux grands conflits mondiaux.

Deux romans où la plume somptueuse de Philippe Claudel dépeint, à toutes petites touches, les êtres et les choses, la noirceur des âmes et la grisaille des hivers et des paysages.

Durant la première moitié de ce long roman (500 pages) qu'est Crépuscule, j'ai cru découvrir avec bonheur le récit qui allait rejoindre les deux titres évoqués précédemment dans la mémoire des lecteurs.

Car Crépuscule est, à maints égards, indubitablement, une sorte de continuité du travail de Claudel.

Le titre déjà, qui annonce la couleur (si on peut dire !). Ici, tout est gris, tout est froid, l'homme est au bord du monde où il survit, misérable.

La méthode de narration, ensuite, puisque l'auteur situe le roman dans une contrée non précisée - mais probablement en Europe centrale - comme il l'avait déjà fait dans Le rapport de Brodeck.

Le fil narratif, de même, avec l'ossature du roman qui repose sur une enquête à la suite d'un meurtre, comme dans Les âmes grises.

Le style enfin, absolument exceptionnel, les phrases de Philippe Claudel, longues, mélange d'images et de métaphores étonnantes, qui après brassage acquièrent l'épaisseur d'une pâte dans laquelle les personnages, mais aussi le lecteur, donnent l'impression de s'engluer, s'enfoncer.

Si jamais vous souhaitez voir jusqu'à quel point la magie de l'écriture de Philippe Claudel va, il vous suffira de feuilleter la page 126 de la version brochée publiée chez Stock.

Une page entière, composée de deux très longs paragraphes qui évoquent la magie poétique qui agite parfois l'esprit de Baraj, le personnage le plus intéressant - et de loin ! - du roman; cette page est tout simplement admirable.

Malheureusement, les promesses annoncées dans les 200 premières pages de Crépuscule ne seront pas tenues par l'auteur, car la suite de l'entreprise est - à mon avis - très largement ratée.

Le rythme du récit, lent, pesant, ne fera que ronronner jusqu'à la fin, alors qu'on pensait qu'une fois posée le décors, l'intrigue allait se dénouer.

Le roman promettait beaucoup : l'auteur n'avait malheureusement rien en réserve, les quelques développements de l'intrigue étant aussi prévisibles que peu intéressants (la chasse à l'ours, moment supposé de bravoure du récit, s'étale sur 150 pages et n'apporte strictement rien à l'histoire !).

Le roman repose sur toute une symbolique : les personnages n'ont pas de nom, ils sont juste désignés par leur fonction sociale, avec une majuscule; les tensions religieuses, entre catholiques et protestants, ressemblent à s'y méprendre à celles que vivent notre civilisation.

Mais cette symbolique est si transparente et lourdingue qu'elle désincarne littéralement le récit et lime l'émotion au point de la faire disparaitre presque complètement.

Enfin, on ne peut qu'être consterné par l'erreur commise par l'auteur en concentrant l'essentiel du récit sur un personnage principal, Nourio, qui dégage une antipathie absolument totale.

Stupide, vaniteux, détruit par ses pulsions sexuelles incessantes, il est insupportable (je n'insisterais pas sur les nombreuses scènes - gratuites - mettant en scène longuement les tentations pédophiles du Policier, qui ont de quoi choquer, voire scandaliser le lecteur).

Quel était l'intention de Claudel en lui donnant une telle importance ? Je ne l'ai pas compris.

Heureusement qu'il reste le personnage de Baraj, qui restera, jusqu'au bout du livre, comme le point le plus intéressant  et le plus réussi du récit.

En refermant Crépuscule, j 'ai eu l'impression que Philippe Claudel, fin analyste de la nature humaine, avait définitivement sombré dans la mélancolie et - bien pire - dans la misanthropie.

Quel dommage... espérons qu'il reste un peu de Baraj en lui...

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