Un arrière-goût de rouille

Philipp Meyer

Denoël / Folio

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Le pitch

À Buell, Pennsylvanie, les hauts-fourneaux sont éteints depuis belle lurette. Ce qui reste des heures glorieuses de la sidérurgie n'est que misère, délabrement, rouille. La somptueuse et sombre nature alentour, les inquiétants paysages de gares de triage désaffectées et d'usines à l'abandon, les bars glauques où des hommes aux abois ruminent leur triste destin, tout suinte le désespoir.

A vingt ans, unis par une improbable amitié, le chétif Isaac English et l'athlétique Billy Poe devraient être à l'université, mais aucun n'a quitté sa vallée natale. Tandis qu'Isaac le surdoué s'occupe de son père invalide, Billy l'athlète raté se défoule dans les bagarres...

Quand le premier se décide enfin à tenter sa chance ailleurs - avec en poche quatre mille dollars volés à son père -, Billy accepte de faire un bout de route avec lui. Mais un incident les oppose presque aussitôt à des vagabonds, et le drame se noue, mettant à mal toutes les loyautés - amicale, amoureuse, familiale, humaine.

Prenant à bras-le-corps de grands mythes américains, Philipp Meyer signe un roman ambitieux et haletant qui saisit magistralement cette Amérique en sursis, celle qui, aujourd'hui plus que jamais, survit dans un renoncement perpétuel à ses propres fondements.

Mon avis

En 2014, Philipp Meyer a accédé d'un seul coup, violemment, à la notoriété mondiale, pour son étonnant deuxième roman, Le fils. Un vrai chef-d'œuvre que je vous encourage à découvrir toute affaire cessante si la notion de "roman de l'Amérique" a pour vous un sens.

Compte tenu de ce succès, le premier roman de l'auteur a été enfin traduit et édité en français et, comme beaucoup, je me suis jeté dessus lors de sa parution en espérant tomber sur un récit aussi exceptionnel... tout en craignant, vous vous en doutez, d'être déçu.

Éternel problème d'un lecteur à la rencontre du passé littéraire d'un auteur dont on est tombé amoureux, à l'occasion d'une rencontre improbable, la dernière oeuvre...

Pas de suspens, autant vous le dire tout de suite: Un arrière goût de rouille n'est pas du tout à la hauteur de son glorieux successeur. Ce qui prouve au moins une chose : l'auteur progresse : quel formidable roman devrait être son troisième !

Ce roman, épais (trop), se situe dans ce mouvement romanesque ""white trash"" qui agite le monde littéraire américain depuis quelques années, ces récits situés dans l'Amérique profonde, souvent le sud, le centre du pays, là où la crise a, au fil des décennies, creusée des cicatrices profondes dans le tissu industriel, balafré les écosystèmes, défiguré les mentalités.

Ce mouvement a de profondes racines, Steinbeck, Faulkner, mais les nombreux auteurs récents n'ont pas, loin de là, le talent de ces glorieux aînés... à l'exception de Donald Ray Pollock, l'auteur du génial Le diable, tout le temps.

Philipp Meyer, sur une toile de fond romanesque d'une simplicité confondante qui tient entièrement dans le pitch du livre, entreprend de décrire cette atmosphère délétère où, au sein de paysages superbes où la nature reprend peu à peu ses droits, une population abandonnée par la prospérité se débat pour ne pas couler et survivre.

Dans un style très classique, les cent cinquante premières pages du roman sont réussies : exposition du contexte, des personnages, récit de l’événement qui va nouer l'intrigue et le destin; puis, peu à peu, faute d'abord de sang neuf, le récit s'anémie, perd de sa vigueur, s'enlise en boucles répétitives...

A force de creuser son sujet sans jamais l'enrichir, avec un manque de vigueur évident, Philipp Meyer finit par perdre son lecteur.

Je n'ai pu aller jusqu'au bout de ce très long roman qu'en sacrifiant au subterfuge que tout grand lecteur n'emploie que contraint et forcé : la lecture en diagonale.

Un conseil : sur un sujet très proche, lisez de préférence (si vous avez le cœur bien accroché) le recueil de nouvelles du génial Daniel Ray Pollock évoqué plus haut, Knockemstiff, recueil dont je parle par ailleurs sur le site.

L'oeuvre est peut-être moins subtile - et encore -, mais sa lecture est autrement plus décapante !

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